Très médiatisée, la « demande de brevet provisoire » à la française, définie dans le décret 2020-15 du 8 janvier 2020, est entrée en vigueur ce 1er juillet 2020. C’est l’ultime étape de l’entrée en vigueur des dispositions de la loi PACTE sur les brevets, prévues redynamiser l’innovation.
Ce nouvel outil vient compléter la boîte à outils des sociétés innovantes françaises souhaitant protéger leurs inventions, qui disposent désormais d’un arsenal d’options permettant de mettre en place une stratégie de protection adaptée à chaque situation.
La demande de brevet provisoire est un outil qui permet au déposant de « prendre date », et d’obtenir un numéro et une date de dépôt pour une demande de brevet incomplète (notamment ne comprenant pas de revendications), lui permettant, dans l’année qui suit, de compléter celle-ci.
Le mécanisme prévu est donc que, pour aller plus loin en vue d’une protection par un brevet délivré, la demande provisoire devra être ultérieurement « mise en conformité ». Il semblerait que, in fine, il soit prévu que la demande de brevet « mise en conformité » (que nous appellerons plus loin une « demande régulière ») ne soit pas une demande de brevet distincte de la demande de brevet provisoire, mais qu’elle soit la même demande de brevet, c’est-à-dire qu’elle conserverait le même numéro et la même date de dépôt que la demande de brevet provisoire, quelle que soit la date de sa mise en conformité.
Pour éviter tout risque de confusion entre la version « provisoire » de la demande de brevet et la version « régulière », le décret crée un article R. 612-37-1 du CPI, qui est un point fondamental de cette réforme : Les modifications apportées à la demande de brevet ne doivent pas étendre son objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.
Par conséquent, au moment de la mise en conformité, il sera impossible d’apporter des modifications qui étendent l’objet de la demande au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. Cette condition, qui est déjà appliquée tant par l’INPI que par les tribunaux de manière très stricte pour les demandes de brevet « régulières » et les brevets, vient confirmer que la demande de brevet « régulière » ne devra pas comprendre de contenu technique additionnel par rapport à la demande de brevet provisoire. Pour permettre une sécurité juridique absolue, il importe en effet de savoir quel contenu technique est déposé à une certaine date.
En passant, comme la « mise en conformité » d’une demande provisoire passe par le dépôt de revendications, que celles-ci doivent être fondées sur la description, et que ce dépôt de revendications ne doit pas étendre l’objet de la demande de brevet, la seule façon de remplir ces critères nous semble être que la demande de brevet provisoire comprenne, dès son dépôt, le support littéral pour le jeu de revendications qui sera déposé ultérieurement lors de la mise en conformité.
Un des intérêts de créer une demande de brevet provisoire pourrait être de prévoir qu’il soit possible d’ajouter ultérieurement des éléments techniques nouveaux, correspondants à des développements survenus postérieurement au dépôt de la demande provisoire.
Un tel mécanisme est déjà bien connu des déposants de demandes de brevet français qui, au moment de l’extension internationale, ont coutume de compléter le texte initial avec ces compléments qui, bien évidemment, ne bénéficient pas de la date de priorité.
Il serait vraisemblablement possible de déposer une demande de brevet étranger revendiquant la priorité d’une demande de brevet provisoire, comme on le fait déjà à partir d’une demande de brevet régulière. A ce sujet, il faut noter que c’est chaque office étranger qui devra décider d’accepter ou non une telle revendication de priorité. A notre connaissance, la revendication de la priorité d’une demande provisoire américaine est déjà reconnue partout à l’étranger, un raisonnement similaire devrait s’appliquer pour la revendication de la priorité de la demande provisoire française, mais nous ne voulons pas prendre position ici sur l’approche qu’auront les offices de brevets étrangers.
Un des intérêts d’un système de dépôt provisoire serait notamment de pouvoir déposer, pendant l’année de priorité, une pluralité de demandes provisoires correspondant à divers degrés d’avancement du projet, et de rédiger une demande de brevet complète dans l’année de priorité s’appuyant sur ces divers dépôts. Cette stratégie est déjà aujourd’hui (avant l’entrée en vigueur de cette réforme) très utilisée par les start-ups, puisque le système français des brevets comprend déjà la possibilité de déposer une demande de brevet en revendiquant le bénéfice de la date de dépôt d’une demande de brevet français antérieur (mécanisme dit de « priorité interne »).
A ce sujet, le décret introduit un article R. 612-24 CPI qui est libellé comme suit : « La déclaration de priorité revendiquée dans le cadre d'une demande de brevet déposée sous la forme d'une demande provisoire vaut requête de mise en conformité ou, sur indication expresse du déclarant, requête en transformation en demande de certificat d'utilité, en application du premier alinéa de l'article R. 612-3-2 ».
Laissant de côté, en première approche, la question du certificat d’utilité, une lecture de cet article pourrait être que, selon un scénario, un déposant réaliserait un dépôt provisoire, et que si une demande de brevet est déposée en revendiquant la priorité de ce dépôt provisoire, alors ce dépôt « vaut requête de mise en conformité » de la demande provisoire.
Toutefois, il semble y avoir une incompatibilité entre le fait que la demande de brevet ultérieure qui « revendiquerait la priorité » du dépôt provisoire antérieure peut comprendre des compléments par rapport à cette dernière (ces compléments ne bénéficiant pas de la date de priorité), et l’impossibilité, pour l’objet de la demande de brevet « mise en conformité » de s’étendre au-delà du contenu de la demande provisoire telle que déposée.
Cette incompatibilité apparente devrait donc pousser les déposants à utiliser avec précaution le système de dépôt provisoire s’ils souhaitent ultérieurement déposer une demande de brevet plus complète pour leur invention.
Comme on le voit, la demande provisoire de demande de brevet est un nouvel outil disponible pour les déposants de demandes de brevet en France. Le système est à manipuler avec précautions, notamment car « Les modifications apportées à la demande de brevet ne doivent pas étendre son objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée » et « La déclaration de priorité revendiquée dans le cadre d'une demande de brevet déposée sous la forme d'une demande provisoire vaut requête de mise en conformité ou, sur indication expresse du déclarant, requête en transformation en demande de certificat d'utilité, en application du premier alinéa de l'article R. 612-3-2 ». Ces deux limitations devraient encadrer dans les prochaines années la mise en œuvre de ce nouvel outil. Il reste recommandé d’être prudent quant aux divulgations de l’invention réalisées avant le dépôt d’une demande de brevet « régulière ».
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