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Les Exceptions A La Brevetabilité Des Méthodes Mathématiques Et Des Programmes D’ordinateur En France Et En Europe : Focus Sur Le Cas Particulier De L’intelligence Artificielle En Matière De Brevets



L’intelligence artificielle (IA) s’impose aujourd’hui comme un levier majeur d’innovation dans de nombreux secteurs : la santé, le numérique, l’agroalimentaire, l’automobile, l’aviation, … La protection de la propriété intellectuelle issue des innovations mettant en œuvre de l’IA est un enjeu sensible, notamment en matière de brevets d’invention.


En Europe et en France, les règles encadrant la qualification d’une innovation en une invention sont strictes et bien définies. Outre le fait qu’une innovation, pour être considérée comme une invention brevetable, doit être nouvelle, inventive et susceptible d’application industrielle, celle-ci ne doit pas faire partie de la liste des exclusions à la brevetabilité comprenant notamment les méthodes mathématiques et les programmes d’ordinateur. L’IA s’inscrit directement dans cette liste puisque reposant sur des algorithmes et des modèles statistiques.


Les exceptions à la brevetabilité ont été introduites dans les législations européenne (article 52(2), (3) CBE) et française (L.611 – 10 CPI) pour protéger l’intérêt général. Notamment, les méthodes mathématiques, considérées comme des outils universels, devraient rester accessibles à tous. Également, des concepts algorithmiques généraux ne devraient pas pouvoir devenir des monopoles privés. Cet encadrement permet également de garantir une cohérence juridique dans le traitement des litiges.


Toutefois, un grand nombre de technologies faisant appel à des méthodes mathématiques ou des logiciels, ces exclusions ne sont pas absolues mais dirigées vers des innovations revendiquées en tant que telles.


C’est précisément cette distinction qui a permis de faire évoluer la jurisprudence vers une reconnaissance relative de la brevetabilité d’innovations mettant en œuvre de l’IA.


Parmi ces décisions, l’arrêt T208/84 (VICOM) portait sur une méthode d’application de filtres de convolution à une image, améliorant la netteté et le contraste des images numériques. Cet algorithme de traitement d’images avait été reconnu brevetable au motif qu’il produisait un effet technique tangible. Cette décision de jurisprudence a marqué un tournant dans l’appréciation de la non-exclusion d’office des méthodes mathématiques et des programmes d’ordinateur. En effet, il a été conclu que, si un procédé mathématique mis en œuvre par ordinateur, ou un logiciel, produit un effet technique concret, alors celui-ci apporte une contribution technique à un problème technique et n’est plus un procédé mathématique ou un logiciel en tant que tel. Autrement dit, cette décision a acté le fait que les inventions impliquant des algorithmes ou des étapes mathématiques sont évaluées selon leur contribution technique et non plus en fonction de leur nature logicielle.


Dans l’affaire T1173/97 (IBM), la Chambre de Recours a examiné si une revendication portant sur « un produit programme d’ordinateur » pouvait être brevetée. Il a été conclu qu’un programme d’ordinateur n’était pas exclu de la brevetabilité en tant que tel si, lorsqu’il est implémenté sur un ordinateur, il produit un « effet technique supplémentaire », allant au-delà des interactions physiques habituelles entre un logiciel et un processeur. Par cette décision, la Chambre de Recours fait évoluer les critères d’évaluation des exceptions à la brevetabilité en privilégiant la présence d’un effet technique supplémentaire à la contribution d’une revendication par rapport à l’état de la technique. Cette décision constitue une jurisprudence constante.


L’arrêt T641/00 (COMVIK), qui fera l’objet d’un article dédié, vient compléter cette décision en ajoutant qu’une revendication comportant des caractéristiques techniques et non techniques (étapes de procédé mathématique ou algorithmique) peut être admise pour peu que les caractéristiques techniques répondent aux critères de nouveauté et d’activité inventive.


Plus récemment, l’arrêt T2330/13 (SAP) a validé un brevet portant sur une intelligence artificielle dans le domaine du diagnostic médical. La demande de brevet concernait un algorithme d’apprentissage automatique utilisé pour analyser des images médicales et y détecter des anomalies. Lors de la procédure d’examen, la demande avait été rejetée car l’invention reposait sur une méthode mathématique, exclue de la brevetabilité en tant que telle. La Chambre de recours a annulé ce rejet, estimant que l’algorithme produisait un effet technique tangible en améliorant la détection des anomalies médicales, et que son application au domaine médical apportait une contribution spécifique, ce qui le distinguait d’un simple algorithme mathématique. Cet arrêt confirme donc que les inventions basées sur l’intelligence artificielle peuvent sortir de l’exclusion prévue à l’article 52(3) CBE lorsqu’elles apportent une amélioration technique concrète. Cet arrêt sert aujourd’hui de fondement dans l’examen de la brevetabilité des inventions impliquant de l’intelligence artificielle.


Ces évolutions ont conduit l’OEB à ajuster ses Directives relatives à l’examen, qui apportent une meilleure définition des conditions de brevetabilité des innovations mettant en œuvre de l’IA, de sorte qu’elles ne sont plus automatiquement considérées comme des méthodes mathématiques ou programmes d’ordinateur en tant que telles.


Notamment, les Directives de l’OEB fournissent une liste (non-exhaustive) d’exemples de méthodes mathématiques ne tombant pas sous le coup des exclusions car produisant un effet technique. On y trouve notamment une méthode permettant d’améliorer ou analyser des signaux audio, des images ou des vidéos numériques, par exemple effectuer un débruitage, une méthode permettant de séparer des signaux vocaux et fournir une reconnaissance vocale, commander un système ou un procédé technique spécifique.


Par ailleurs, l’OEB et l’OMPI sont entrés en dialogue notamment sur la catégorisation des IA dites « génératives », qui créent des images, des textes ou d’autres intelligences artificielles. Dans un rapport publié en 2023, l’OMPI indique que « les modèles d’intelligence artificielle générative, tels que les réseaux adversariaux génératifs, sont souvent exclus de la brevetabilité en raison de leur caractère purement algorithmique ». Actuellement, les innovateurs de ces IAs sont plutôt encouragés à protéger leurs innovations par d’autres biais, comme le droit d’auteur ou le secret des affaires.


Ce qui précède tend à montrer que l’OEB tente d’adapter ses pratiques à l’émergence de ces technologies. Toutefois, en comparaison avec la pratique américaine, qui s’est, elle, assouplie depuis plusieurs années, les directives de l’OEB demeurent strictes sur l’exclusion des programmes d’ordinateur et des méthodes mathématiques. Aux Etats-Unis, la protection par brevet d’algorithmes utilisant une IA est possible dès lors que ces algorithmes permettent une avancée fonctionnelle notable. En Chine également, la position de l’Office CNIPA est d’encourager la protection des inventions mettant en œuvre de l’intelligence artificielle, y compris les intelligences artificielles génératives.


Cette divergence entre l’Europe, d’une part, et la Chine et les Etats-Unis, d’autre part, pourrait encourager les innovateurs à déposer leurs brevets en dehors du territoire européen. Cette conséquence est déjà visible en comparant le nombre de dépôts de demandes de brevets portant sur des IA enregistrés sur ces territoires. Cela pourrait encourager l’OEB à progressivement assouplir ses règles, notamment si l’OMPI décidait d’harmoniser les critères de brevetabilité des IA au niveau mondial. Il est cependant à prévoir que cet assouplissement ne viserait probablement que certains domaines techniques précis, et que le critère d’effet technique tangible resterait à remplir pour que les inventions ne tombent pas dans les catégories d’exclusion des méthodes mathématiques ou programmes d’ordinateur en tant que tels.


Autrice : Brunhilde GREIN

 

 

 

 

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