Brevetabilité Des Inventions Mettant En Oeuvre De L’intelligence Artificielle En Europe Et En France, La Question De L’activité Inventive
- Fidal Innovation
- 9 avr.
- 4 min de lecture

De nos jours, l’intelligence artificielle (IA) est au cœur de nombreuses innovations technologiques influençant des secteurs majeurs tels que la santé, les transports, l’agroalimentaire. En France et en Europe, les demandes de brevets impliquant de l’IA se multiplient. Pourtant, malgré cet engouement, breveter une invention mettant en œuvre une IA reste complexe. Le principal problème ne tient pas tant à la nouveauté de ces technologies qu’à leur caractère abstrait, souvent jugé comme non techniques car appartenant aux exceptions à la brevetabilité (voir article Les Exceptions A La Brevetabilité Des Méthodes Mathématiques Et Des Programmes D’ordinateur En France Et En Europe : Focus Sur Le Cas Particulier De L’intelligence Artificielle En Matière De Brevets) telles que définies dans la loi.
Outre l’exclusion pure et simple du champ du brevetable discutée dans l’article sus-mentionné, ce caractère abstrait joue également un rôle central dans l’évaluation de l’activité inventive, l’un des critères fondamentaux pour obtenir un brevet. En Europe, deux décisions majeures structurent l’analyse des inventions fondées sur de l’IA : la décision COMVIK (T641/00) qui définit les bases de l’évaluation des inventions dites « mixtes », c’est-à-dire qui comprennent des caractéristiques techniques et non techniques, et la décision G1/19 qui en précise l’application aux simulations informatiques – souvent proches dans leur fonctionnement des systèmes d’IA.
De manière générale, l’évaluation de l’activité inventive d’une invention consiste à déterminer si l’invention ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique pour la personne du métier. A première vue, ce critère semble classique. Mais dès lors que l’invention touche à l’IA, son appréciation se complique.
En effet, ni le droit européen ni le droit français n’autorisent la brevetabilité de certaines catégories d’inventions comprenant les programmes d’ordinateur et les méthodes mathématiques, à moins qu’elles ne produisent un effet technique. Or, l’IA semble de fait appartenir à ces deux catégories. La difficulté est alors de démontrer que l’IA ne fait pas que manipuler des données mais qu’elle contribue à résoudre un problème technique.
La décision COMVIK a posé les bases de l’examen des inventions contenant à la fois des éléments techniques (par exemple un capteur, un système de traitement, un processeur, etc.) et non techniques (par exemple un algorithme, un modèle d’optimisation, etc.). Elle établit une règle simple : seules les caractéristiques techniques peuvent être prises en compte pour évaluer l’activité inventive. Autrement dit, si l’innovation repose sur un modèle d’IA sans lien avec un système technique, ou n’ayant pas d’effet technique, elle ne sera pas brevetable.
La décision T 1543/06 (GAMEACCOUNT) a par la suite étayé ce principe en indiquant que la décision COMVIK pouvait être reformulé comme suit « une invention qui, dans son ensemble, ne tombe pas sous le coup de l'exclusion visée à l'art. 52(2) CBE 1973 (c'est-à-dire présentant un caractère technique) ne peut pas s'appuyer uniquement sur des éléments exclus, même si elle est nouvelle et non évidente (au sens courant du terme), pour être considérée comme satisfaisant à l'exigence d'activité inventive (voir aussi T 336/07) ». Autrement dit, l’inventivité d’une innovation ne peut s’appuyer uniquement sur un objet exclu de la brevetabilité, si original qu’il puisse être.
La décision 154/04 (DUNS LICENSING ASSOCIATES) a également validé cette approche en confirmant qu’une caractéristique non technique peut produire un effet technique, par exemple si elle contribue à la solution à un problème technique.
La décision COMVIK et les suivantes induisent donc que, dès lors que des caractéristiques, pouvant être considérées comme non techniques en tant que telles, interagissent avec des caractéristiques techniques pour apporter une solution technique à un problème technique, et que ces caractéristiques ne découlent pas de manière évidente de l’état de l’art, l’activité inventive d’une revendication incluant de telles caractéristiques mixtes est reconnue.
G1/19, décision rendue par la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets en 2021, complète cette approche. Cette décision porte plus particulièrement sur une simulation informatique du déplacement de piétons dans un bâtiment. La question à laquelle G1/19 tentait de répondre était de savoir si une simulation purement numérique pouvait être brevetée si elle n’interagit pas physiquement avec le monde réel.
La réponse, quelque peu nuancée, rappelait que, comme pour COMVIK, l’effet technique est la condition centrale. Une simulation peut être brevetée si elle contribue à une solution technique identifiable, même dans un environnement numérique. Pour être brevetable, il n’est donc pas impératif qu’une IA contrôle une machine ou produise une sortie physique. En revanche, le modèle doit faire plus que simplement calculer ou modéliser. Notamment, une amélioration numérique d’un système informatique peut suffire. Par exemple, une IA qui améliore le fonctionnement d’un système informatique, réduit la consommation de ressources ou fournit des données exploitables par un processus industriel, peut être brevetée. L’activité inventive reste évaluée selon l’approche COMVIK ; seules les caractéristiques techniques sont prises en compte.
L’imbrication des décisions COMVIK et G1/19 produit un cadre strict mais cohérent. COMVIK a permis de fixer la méthode d’évaluation des inventions mixtes tandis que G1/19 clarifie que certaines méthodes, même purement numériques, peuvent produire un effet technique si elles ont une finalité claire et concrète.
Ainsi, lors de la rédaction de demandes de brevet portant sur des inventions mettant en œuvre de l’IA, le simple fait d’indiquer qu’un système ou une méthode implique un processeur mettant en œuvre un modèle d’IA ne suffit pas. Il faut décrire précisément comment ce modèle interagit avec un environnement technique et quelles améliorations celui-ci permet en vue de répondre à un problème technique bien défini.
A l’international, l’évaluation de l’inventivité d’une invention mettant en œuvre de l’IA est plus permissive, notamment aux Etats-Unis et en Chine.
Aux Etats-Unis, il est théoriquement interdit de breveter des idées abstraites telles que des méthodes intellectuelles ou purement mathématiques. Toutefois, si celles-ci sont appliquées à un problème concret, et que leur fonctionnement est suffisamment décrit, un brevet peut être délivré. En Chine, les conditions sont encore plus réduites puisqu’il suffit que des inventions mettant en œuvre de l’IA puissent avoir une application industrielle concrète.
L’activité inventive des innovations mettant en œuvre de l’IA en France et en Europe est donc évaluée selon un cadre plus strict qu’à l’international. Il convient donc d’adapter les pratiques de rédaction lorsqu’un dépôt de demande de brevet est effectué sur ces territoires. Notamment, lors de la rédaction de telles demandes il convient de bien mettre en avant la contribution technique de l’invention en insistant sur les aspects fonctionnels et techniques de l’IA.
Autrice : Brunhilde GREIN
Comments